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[fiche]"De la dite incompétence des travailleurs sociaux" JP Leblanc

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Message  Aurelh38 Sam 13 Sep - 15:07

fiche de lecture
"De la dite incompétence des travailleurs sociaux"
de Jean-Pierre Leblanc
(Psychanalyste. Psychologue dans un Service d'assistance éducative)
2005 Angers


Un soupçon…

Depuis quelques temps, des affaires graves d'abus sexuels commis sur des enfants, conduisent certains à s'interroger sur l'efficacité des mesures médico-sociales et éducatives articulées à la protection de l'enfance. On peut en venir ainsi à douter de la compétence, voire de l'utilité des travailleurs sociaux qui conduisent ces mesures, comme cela transpire parfois dans certains articles de presse. C'est ce qui s'est passé à Angers, lors du démantèlement du « réseau de pédophilie », quand on a découvert que des enfants ont continué d'y être abusés sexuellement, alors qu'ils bénéficiaient de ces mesures éducatives de protection.

Il ne viendrait à l'idée de personne de jeter le discrédit sur la médecine toute entière parce qu'elle reste impuissante face à certaines pathologies. Il ne viendrait à l'idée de personne non plus, de douter encore de cette médecine dans son essence même, lorsqu'un événement catastrophique se produit sur le plan sanitaire (épidémie, épizootie etc.). C'est pourtant ce qui arrive de temps à autres au sujet du travail social, lorsque certains événements graves font douter de ce qu'on voudrait être son aptitude à les contrôler.

On peut considérer qu'il ne s'agit pas là d'une manifestation de l'ignorance relative à un simple manque d'information. Si c'était le cas, elle serait moins massive et surtout moins passionnée, et ceux qui soupçonnent les travailleurs sociaux d'inutilité ou d'incompétence auraient peut être pris un peu plus les moyens de mieux s'informer.
De ce point de vue, ce qui est arrivé à Angers a un impact particulier : on y rencontre une abjection qui dévoile ce que l'humanité peut receler de monstrueux. Cela conduit alors à exiger de la part des intervenants sociaux censés protéger et prévenir, une vigilance qu'on voudrait sans défaut pour que ne se produisent plus de tels abus, d'autant plus inacceptables que ce sont des enfants qui en sont victimes.

L'impensable, le refus de savoir, la part obscène.

La discrétion qui prévaut habituellement sur cette activité est symptomatique d'une autre chose, qui nous pousse à taire ce qui en est l'objet même : le malaise devant la misère humaine et le désordre qu'on y traite, devant la part d'inhumanité qui s'y loge, qu'on cherche à contenir et à ignorer en les maintenant le plus loin possible de nous. C'est d'ailleurs pour cela qu'il arrive que ceux qui y ont affaire dans leur travail, éprouvent souvent une sorte de pudeur, de gêne, voire de désintérêt, à en parler à ceux qui sont extérieurs à leur champ.

Dans le cas où la vérité explose ainsi dans les médias, nous sommes alors scandalisés de la souffrance inadmissible qui n'a pu être empêchée. Mais cela nous scandalise aussi car se dévoile là l'insupportable fragilité de ce qui nous « civilise » : le renoncement aux passions les plus destructrices, condition de notre humanité, apparaît ainsi comme une chose précaire. L'inconcevable, le pire, sont donc toujours possibles. Il n'y a pas de limites et de remèdes définitifs à cette sauvagerie, puisqu'il arrive que pour certains sujets, dans certaines circonstances, elle ne puisse être contenue !

Nous sommes alors renvoyés, chacun, à ce que nous avons dû justement refuser et rejeter intimement en nous pour consentir à la loi humaine, pour que vivre ensemble soit possible sans que ne surgisse l'étripage généralisé qui ne manquerait alors pas autrement de se produire. C'est le prix payé pour entrer dans la société humaine : nous sommes construits sur le sacrifice et le refus de cette part d'obscénité destructrice. La conséquence, c'est que tout à fait « normalement », nous n'en voulons plus rien savoir, et que nous voudrions cette part là « oubliée » une fois pour toutes.

Mais ce rejet, cet « oubli » ne sont jamais total et absolu : de cette part, il reste en nous quelque chose, qui s'éprouve justement dans le dégoût foncier qu'elle nous inspire, comme si se révélait ainsi que nous avions quand même la notion de ces choses là, à cause de la manière dont elles nous affectent. Sentiment inquiétant de quelque chose à quoi nous nous voulons radicalement étranger, et qui pourtant touche intimement jusqu'au malaise. Tout cela rend d'autant plus inacceptable la rencontre avec de tels évènements : ils suscitent ce malaise parce qu'ils font éprouver l'existence en nous de cette part là, contenue, refoulée certes, mais présente. On sait d'ailleurs qu'elle peut ressurgir dans des circonstances extrêmes (notamment en période de conflit) : certains sujets y manifestent une humanité héroïque, mais d'autres, qui peuvent être connus comme étant ordinairement de « braves pères de famille », perdent tout repère au point de se comporter en redoutables tortionnaires.

Ces choses qui suscitent cette colère et ce dégoût, cette part obscène qu'on voudrait voir éradiquée, la société en confie le « traitement » à certaines instances, à certains métiers. Les travailleurs sociaux en font partie. Ils ont socialement en charge cette part obscure, ce fond de misère humaine et d'inhumanité qui n'est jamais vraiment réduit. Lorsque cette part déborde, on s'en prend à ceux qui sont chargés de la contrôler : on pense qu'ils ne font pas bien leur travail, on se demande s'ils sont compétents, s'ils sont bien utiles en s'y prenant comme ils s'y prennent. On va parfois même leur en vouloir de n'avoir pas su contenir cette obscénité, car elle se révèle ainsi plus près de nous que nous l'aurions pensé. Cela nous paraît tout à fait déplacé, car nous entrevoyons alors une réalité dont nous ne voulions plus rien savoir. C'est la façon commune de tenter de sauvegarder une illusoire tranquillité de l'esprit, au prix de l'ignorance des véritables enjeux de tout cela, et des conséquences qui doivent en être tirées.

L'insupportable tromperie

Il peut être choquant d'apprendre que la présence et le « suivi » effectifs d'assistants sociaux, d'éducateurs, de médecins et de « psys » de tout poil (dont l'incompétence n'excède pas celle que l'on rencontre dans tous les autres métiers) auprès des enfants en cause, n'a pas réussi à empêcher qu'ils soient abusés et agressés : « Mais, entend-on dire alors, que faites-vous, à quoi servez-vous ? ».

D'aucuns, en toute logique, supposent alors des défaillances dans la mise en œuvre des missions, ou bien une inadéquation des méthodes d'intervention. Quelque fois même, subrepticement, un glissement s'opère : les responsables de ce gâchis ne seraient plus seulement les auteurs de ces agressions, mais ceux qui « n'ont rien vu », ceux qui « n'ont rien entendu », ceux qui « n'ont rien fait »…

Croire cela a une fonction. Cela permet d'ignorer et de se masquer une vérité scandaleuse : nous n'avons pas de remèdes définitifs et sûrs contre l'émergence de cette réalité éminemment humaine qu'est la perversion. C'est malheureusement une banalité de constater qu'on trouve des comportements pédophiles dans les activités liées à l'enfance, un peu comme on trouve des pyromanes chez les pompiers.
[...]

Le risque et la confiance comme seules alternatives

Comment s'y prendre face à ces problèmes tels ceux qui se sont révélés à Angers, comment s'orienter dans le travail sans tomber dans une impuissance déguisée en pseudo-réalisme ? Il semble qu'il n'y aie pas d'autres voies là que d'articuler des directions de travail apparemment opposées, dans la mise en tension féconde d'un paradoxe : il s'agit d'une part de s'orienter sur la reconnaissance de la complexité humaine, de ses passions les plus inconcevables et de la vigilance qui doit en découler alors, et d'autre part sur la confiance.

La voie de la reconnaissance de la complexité humaine est la voie d'un risque inévitable : c'est poser que l'inconcevable, le pire, si ils ne sont pas toujours avérés, n'en sont pas moins toujours chose possible.

Parmi ces moyens, on ne s'en étonnera pas, la possibilité de parler en toute confiance des situations et des rencontres auxquelles on a à faire, est déterminante. Ceci ne s'improvise pas ; outre les échanges habituels dans l'équipe de travail, il s'agit de pouvoir parler de manière ouverte et engagée de ce qu'on rencontre très concrètement dans son exercice professionnel, et de tirer les conséquences de ce qu'on apprend alors. Cela exige des lieux et des temps déterminés, avec la présence de quelqu'un dont la fonction est de soutenir et de permettre une telle prise de parole, ainsi que d'aider à saisir les points vifs qui s'en dégagent Il est essentiel que cela se fasse autant qu'il est possible sans esprit d'évaluation ou de jugement normatifs. C'est cela qui peut permettre de mieux repérer ce qui se joue dans une « situation » ainsi que la manière dont on s'y place. Cela peut alors conduire à pouvoir entendre et lire dans l'après coup ce qui y restait masqué, implicite. Or cet implicite peut déterminer puissamment les enjeux de cette situation et la façon dont on y intervient. Ainsi, lors de ces moments où la pratique réelle de chacun peut se dire et s'analyser dans la rigueur mais aussi dans la bienveillance, peut s'opérer alors ce « pas de côté » qui change la perspective de l'intervenant. Cela peut permettre à qui est impliqué dans une situation de mieux en saisir les enjeux, d'y retourner un peu plus « averti », de retrouver finalement un autre souffle et d'y reprendre le vent, là où l'air venait à lui manquer…

La mise en œuvre de tout cela a son prix, qui est celui d'un vrai risque : ne pas fuir ces situations troubles, ne pas rester sous l'empire de ces craintes paralysantes de « passer à côté », ou d'être un jour mis en examen. Prendre le risque d'une présence attentive et avertie, qui peut toujours un jour aboutir au dévoilement du scandale, dans lequel on est alors toujours un peu compté dans l'après coup. La confidence qui aura permis de prendre la mesure du problème, va révéler en même temps à quel point on pouvait en être ignorant l'instant d'avant, quelques fois depuis longtemps. C'est cela qui apparaît à certains insupportable : « comment, pendant tout ce temps vous étiez présents et vous n'avez rien vu ! ». Il n'y a pourtant pas d'autre chemin que de consentir à cette part de risque. C'est la mission des travailleurs sociaux et sa noblesse.

Aurelh38
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